19 mai, 2007

le mot de la fin (par Benoit )

Afin de vous aider à mieux comprendre la situation : (tiré d'une lettre envoyée a ses proches, avec l'autorisation de l'auteur...)

" Chers tous,

Voilà 6 mois que je suis en Equateur, dont 2 mois passés dans les méristèmes de bananiers, 1 mois et demi dans la rose et le reste du temps en subtil mélange tourisme, linguistique et famille. Vu sous cet angle, le bilan est très bon.

D'un autre point de vue, j'ai forcé 2 voies en vain : faillite de la boîte, pour les bananes...Refus d'investir 2 ans sur un jeune sans la garantie qu'il restera, pour la rose...Pour être franc, ces deux "échecs", consécutifs à la traumatisante expérience calédonienne, m'ont sérieusement refroidit. L'éternel "mais c'est l'apprentissage de la vie mon grand" ne m'étant d'aucune utilité, analysons les choses avec recul et lucidité :

La Calédonie est une terre réservée à l'expérimenté, au pistonné ou au particulièrement chanceux. L'Equateur est le paradis de l'agronomie, mais une agronomie 'de brute', qui en fait une terre aride pour le jeune, une fois de plus.
Mon école de Gembloux, formation aussi intéressante soit-elle, ne cultive pas ou peu de liens avec le monde professionnel (hors Wallonie en particulier). Mes attraits initiaux qu'étaient la coopération technique et l'économie du développement ne m'interpellent plus comme avant, et le privé dans les pays chauds (souvent PVD) ne me montre pas vraiment ses plus belles facettes –les grandes monocultures sont pour moi une forme plus récente de l’esclavagisme dans les plantations de canne à sucre en Louisiane ; les sociétés de production de produits à forte valeur ajoutée, comme la rose, intègrent fortement dans leurs paramètres de rentabilité le dumping social et environnemental- et je me surprends à douter de mes envies réelles. Je voulais initialement quitter l’Occident pour ne pas contribuer à cette avancée folle, débridée et pour moi sans aucun sens (la so-called société de consommation, le manque de conscience sur les réalités hors ‘petit foyer’ ou hors ‘unité de vie’ que je ne sais pas encore bien définir car je ne connais pas la vraie vie en Europe, l’université étant une phase tellement particulière). Je pensais trouver des solutions ailleurs, réussir à appliquer une grande partie de mes convictions. Les ‘échecs’ auxquels je suis confronté depuis maintenant plus d’un an ne me permettent pas de dire que je m’étais trompé, au contraire ils m’aveuglent. Certes, ce voyage en Eurasie, ces expériences calédoniennes et équatoriennes, ajoutées à ma vie ‘d’expatrié’, au Congo, à mes 4 années de Belgique, à mes 6 mois de Pays-Bas et à mes divers autres voyages (ne dirait-on pas une lettre de motivation ? Peut-être ai-je tout simplement besoin de me rassurer…), me permettent une vision plus lucide sur ce que sont les Hommes et le Contexte, notion qui m’est si chère. Certes tout cela m’aide à davantage cibler ce que je ne veux pas. Mais je crois que j’ai surtout réalisé autre chose.
Je me rends compte, tellement compte, de l’importante corrélation entre ouverture et déracinement. Par ma nature peut-être, j’ai systématiquement choisi ce qui me plaisait en piochant sélectivement dans les nombreuses cartes que j’avais à disposition. Je me retrouve avec un diplôme belge sans vouloir travailler en Wallonie ; je n’ai pas d’expérience de stage avant diplôme car je pratiquais alors le triathlon à haut niveau ; j’ai réalisé un mémoire de fin d’études en électron libre, dans un climat conflictuel et dangereux*, faisant ainsi preuve d’une réelle capacité d’adaptation mais sans garantir grand-chose pour l’après (pays peu vivable et faible sollicitation des contacts à Gembloux) ; je décide de partir 1 an seul avec mon sac à dos à la découverte d’autres ‘autres’. Peut-être que je mets ici le doigt sur ma principale contradiction : explosif, ambitieux et rempli d’envies de mettre un grand nombre de gens en mouvement dans une vision plus ‘juste’, je ne parviens en réalité qu’à courir après moi-même, cherchant des solutions à mes questions trop ambitieuses et donnant cette impression de garçon insatisfait, individualiste et "qui ferait bien de faire quelque chose de concret au lieu de rayonner dans le vide".
Pas suffisamment solide pour tout mener de front, c’est peut-être de quelque chose de concret et de stable dont j’ai besoin maintenant.

Je rentre en France mardi prochain. Je vais me renseigner sur ‘ce que font les autres’ : VIE, VCAT (grand facteur chance selon moi), outils de recherche en France (ANPE, portail des entreprises) et surtout spécialisation. Il semble que nous soyons dans un monde d’hyperspécialisation…Pour la première fois de ma vie, je ne vais peut-être pas faire ce que je veux mais ce qu’il faut faire, et chercher une voie porteuse. Je pense à la qualité dans l’agroalimentaire (transversale, elle ne confine ni à un type de production ni à une zone géographique) mais je dois creuser tout ça.

Je suis heureux de vous revoir. Je rentre avec Flavie que je serai enchanté de vous présenter.
A bientôt donc,

Benoit "
* NDLR : au Congo Belge

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